Juillet 1990 – De l’intuition !

C’est en compagnie d’un ami de toujours que l’histoire commence…
Prenant un verre au pied de La Défense, Denis, à qui je viens d’annoncer mon projet de création d’entreprise, déclare solennellement, d’un geste grandiloquant englobant l’ensemble des tours qui nous entourent : « un jour, tous ceux-ci seront tes clients… » De toute évidence, il est enthousiaste et ravi d’être un sleeping partner dans cette idée d’aventure rêvée !
Dans le train de retour vers Bordeaux, sur un coup de folie, j’appelle Esso France dont le logo sur le parvis de la Défense m’a toujours fait rêver. Surprise ! Passé le barrage du secrétariat, je me trouve en communication avec le directeur marketing Esso France himself ! Et il m’écoute ! Dans un souci de dynamisation permanente des partenaires du groupe Esso, il souhaite me rencontrer : rendez-vous demain ; sans être arrivé à Bordeaux, je suis bon pour repartir dans l’autre sens.
Premier rendez-vous, contact agréable : il me soumet le projet d’étude qui les tarabuste à cette époque : un sujet passionnant, mais un mouton à cinq pattes qui a rebuté tous mes confrères ! Bref, l’épreuve du feu pour votre humble petit serviteur, néo-entrepreneur à l’époque. Je m’engage à y réfléchir en dépit d’un quotidien surchargé, l’opportunité étant trop incroyable : rendez-vous est pris pour la semaine suivante.
Quelques nuits sans sommeil et un trajet Bordeaux <> Paris supplémentaire au compteur, me voici propulsé dans une salle de réunion peuplée de cadres dirigeants du groupe Esso. Face à mon paperboard (souvenez-vous des années 90…), je gribouille le fruit de ma réflexion et, le couchant sur le papier, je réalise progressivement la médiocrité de mon projet. Je me retourne et j’avoue… J’ai échoué ! Devant cette capitulation assumée, ils font preuve d’une intelligence rare car nous reprenons tout depuis le début ; quelques heures plus tard, je ressors avec la mission de retranscrire au propre le fruit de notre brainstorming diabolique qui s’étale sur les murs de la salle du conseil. Mais… Car il y a un « mais » !
Les process internes Esso imposent, lors du référencement d’un nouveau partenaire, le respect d’un protocole très strict commençant par la visite in situ du susdit partenaire. Aïe !!!
Mon interlocuteur m’annonce sa visite pour la semaine suivante : j’ai une semaine pour tout préparer et je suis pris de court ! Partant du principe qu’un problème sans solution n’est pas un problème, je prends les choses dans l’ordre.
D’abord le Kbis, et oui ! Car il va falloir, à un moment donné, envisager le côté administratif des choses, à savoir le bon de commande et la facturation !
Mais pour le Kbis, il faut une domiciliation, autrement dit des bureaux. Hop, un cabinet d’assurances abandonné rue du 14 juillet à Talence, adresse pleine de promesses.
Les bureaux ne peuvent rester vides, une table de camping reléguée au garage fera l’affaire ! Posons de manière ostentatoire un ordinateur dessus en attendant le système d’exploitation et les logiciels ; même non branché, cela fait toujours plus professionnel.
Jour J, 6h00 du matin : après une nuit blanche, avec quelques amis bordelais, nous finissons de poser la moquette : les murs fleurent bon la peinture fraîche mais il manque une assistante ! Mon épouse, une fois libérée des enfants, accepte de se prêter de bonne grâce à ce jeu de rôle.
Ouf ! Tout est presque prêt ! Mais, sur le chemin de l’aéroport, en allant chercher mon interlocuteur Esso, je réalise que tout repose sur des projets d’avenir et je me sens comme un imposteur en culotte courte. De nouveau, j’avoue le décalage entre mes rêves et ma situation actuelle…qui se résume à pas grand-chose ! À ma grande surprise, il s’entête à vouloir poursuivre notre collaboration avec un savant dosage de pression, de confiance et d’admiration pour ma vibration.
Trop tard pour reculer et en avant pour des séquences ininterrompues de sueur, de peur, d’angoisse, de surcharge, de solitude, d’apprentissage et ….de joie.
Quelques mois plus tard, lors de la présentation de notre étude au siège à New-York, je suis pris de vertige : je comprends à quel point il m’a aidé et combien je lui suis redevable de sa confiance. Son intuition a prévalu : il a vu en moi l’animal sauvage capable d’avancer et de capter les bonnes idées en faisant fi de « simples » modalités administratives et organisationnelles !
La réalité dépasse parfois les meilleurs scénarios de films du dimanche soir !